Que penser de la charte de la laïcité dont l’affichage dans tous les établissements publics a été ordonné par notre Ministre de l’éducation nationale ? Est-elle respectueuse de la liberté de la conscience ? Bien que celle-ci soit énoncée en toutes lettres, nous allons voir que, comprise et replacée dans la totalité de la charte, son respect peut être pratiquement remis en cause par l’école laïque.
La charte énonce que « la laïcité garantit la liberté de conscience à tous. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire. Elle permet la libre expression de ses convictions dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public » (§3). La liberté de conscience concerne ici le champ de la croyance religieuse. D’où la formule « ne pas croire », vue comme une possibilité symétrique à croire.
Or dans un autre article (§12) il est affirmé que « les enseignements sont laïques. Afin de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme ».
De la lecture conjointe de ces deux, il ressort que la liberté de conscience est limitée par le caractère obligatoire des programmes scolaires. Cela présuppose que rien dans ces programmes n’est identifié comme susceptible de blesser la liberté de conscience des élèves. D’où peut venir une telle assurance si ce n’est d’une confiance totale dans le bien-fondé de la structure scolaire elle-même, en l’occurrence la différence d’ordre entre croyance (religieuse) et savoir (scolaire) ?
Le présupposé est que le savoir est objectif, universel et donc peut être imposé à tous alors que la croyance est subjective, particulière et ne peut en aucun cas faire l’objet de prosélytisme (condamné par le §6). Dans ce dispositif, la laïcité des enseignements permet d’articuler les deux niveaux préalablement distingués. Qui ne voit que cette distinction repose sur deux présupposés qui ne vont pas de soi et qu’il convient donc d’interroger :
-
– une déconnexion entre croyance et vérité (fidéisme)
-
– une confessionnalisation de tout ce qui ne relève pas des savoirs positifs (scientisme)
De là découle la possibilité pratique de violer la liberté de conscience d’un élève. Il suffit pour cela qu’on lui présente un contenu d’enseignement comme un savoir objectif et universel (et donc obligatoire) et que ce contenu aille directement contre une conception du monde ou de l’être humain impliquée par sa croyance. Autrement dit, il y a un point aveugle dans la distinction effectuée par la charte : la liberté de conscience ne concerne pas que les croyances religieuses parce que la liberté de conscience n’est pas la liberté de penser n’importe quoi sur Dieu ou sur le sens de sa vie mais la liberté de chercher la vérité sur un sujet.
Or la vérité ne peut être l’objet d’un enseignement scolaire obligatoire et coercitif sauf à considérer l’école comme une nouvelle autorité capable de s’imposer au for interne des élèves. Or la pensée laïque et anticléricale a jadis accusé les religions positives au premier rang des quelles l’Église catholique de procéder de cette manière. Or le principe d’autorité ne fonctionne dans la foi chrétienne que sur la Révélation dont seul Dieu est le garant et la source souveraine et l’acte de foi ne peut être contraint. De plus, l’Église a toujours considéré que des pans entiers de son enseignement étaient accessibles de droit à la raison humaine cherchant la vérité et à ce titre pouvait être découverts par la discussion critique.
Bref, si l’école de Monsieur Peillon se veut et se pense un pouvoir spirituel, elle ne doit plus être obligatoire sauf à risquer de violer les droits de la conscience des élèves et de leur famille.