Liberté de conscience et devoir professionnel : Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi d’un pharmacien

L’accès à la justice est-il encore ouvert à tous dans notre pays ? C’est la question que nous pouvons sérieusement nous poser au vu de la décision rendue le 22 décembre dernier par le Conseil d’Etat (5ème chambre) qui n’a pas admis le pourvoi présenté par un pharmacien de Gironde, condamné pour ne pas avoir vendu de stérilet.

Rappelons brièvement les faits. A la suite d’une plainte à son encontre, la chambre de discipline du conseil régional d’Aquitaine de l’ordre des pharmaciens a prononcé une semaine d’interdiction d’exercer (décision du 11 février 2016).

Il convient de préciser que dans le même temps, alors que la procédure était en cours devant la juridiction ordinale, ce pharmacien a fait l’objet d’un testing, pratique en principe prohibé dans ce genre d’affaire. Dénoncé par le planning familial, un article a été publié dans la presse locale, immédiatement repris par la presse nationale, avant la décision du conseil régional de l’ordre.

L’appel formé à l’encontre de la décision de première instance a été rejeté le 4 juillet 2017 par la chambre de discipline du conseil national de l’ordre des pharmaciens (décision rendue publique le 24 juillet). Suivant l’ordre hiérarchique des juridictions, le pharmacien a alors saisi le Conseil d’Etat.

Dans notre procédure administrative, un pourvoi devant le Conseil d’Etat n’est pas automatiquement reçu. Selon l’article L 822-1 du code de justice administrative « le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat fait l’objet d’une procédure préalable d’admission. L’admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux ».

Par sa décision du 22 décembre dernier, le Conseil d’Etat a donc considéré qu’« aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi ». Cette décision est d’autant plus facile qu’elle ne fait l’objet d’aucune motivation.

Quels sont les donc les moyens avancés par le pharmacien qui ne sont pas considérés comme « sérieux » ? Ils sont cités dans la décision et tournent autour des questions suivantes : la constitution même de la faute (le refus de vente n’est pas avéré), la classification et le fonctionnement du stérilet (contraceptif ou contragestif ?), le devoir d’information des pharmaciens sur les modes d’action des différentes « contraceptions », la prétendue autorisation de mise sur le marché du stérilet (une telle autorisation n’existe que pour un médicament) et enfin la liberté de conscience des pharmaciens.

Parmi ceux-ci, n’y a-t-il donc aucun moyen « sérieux » pour justifier une procédure devant la plus haute juridiction administrative française ? Pour ne citer qu’un seul des moyens évoqués, un an et demi après les vifs débats causés par l’éventualité d’intégrer une clause de conscience pour les pharmaciens dans le code de déontologie de la profession, le Conseil d’Etat estime purement et simplement que ce n’est pas un moyen d’action « sérieux ». Faut-il donc comprendre que l’une des préoccupations professionnelles majeures de cette profession sort purement et simplement du champ juridique ? La question vaut tout autant pour les autres moyens avancés dans le pourvoi.

Un recours est donc formé devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui se saisira, nous l’espérons, de cette affaire.

 

Publié dans : Edito, Pharmaciens