Entretien avec Leonor Tamayo Colomina (2ème partie)

L’objection des parents en Espagne : (suite)

Leonor Tamayo Colomina est coordinatrice de la campagne contre l’ « Education pour la citoyenneté » 

Accéder à la première partie de l’entretien.

Leonor Tamayo répond maintenant à la question suivante :

Quelles difficultés avez-vous rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?

IMG_3654Il fallait d’abord faire comprendre aux parents l’amplitude du problème. Ce qui était en jeu n’était ni personnel, ni isolé, mais concernait la liberté de tous, le droit des parents à choisir la formation morale de leurs enfants. L’Etat prétendait imposer une « morale », indépendamment de l’école ou du professeur.

Nous devions expliquer ensuite que le meilleur moyen de défendre les droits des parents était l’objection de conscience(1) à l’EpC (Éducation pour la Citoyenneté) qui comprenait des enseignements idéologiques. L’objection supposait que l’élève n’assiste pas au cours.

C’est alors que commencèrent les difficultés. Pour les parents, c’était très clair. Ils étaient prêts. En revanche, les écoles et les administrations s’y opposèrent, à quelques exceptions près. Il y eut des pressions, y compris physiques, pour que les enfants assistent à ces cours, des menaces, des mensonges, etc. Cependant, nous pouvons dire avec fierté que l’immense majorité des parents resta ferme face aux directeurs d’école, à l’administration et à l’inspection de l’ Éducation. Il y eut aussi des écoles qui firent « objection » en masse : 100 % des parents et des professeurs refusèrent de recevoir ou d’assurer les cours d’EpC. Il y eut des lieux où les cas d’objection se comptèrent par dizaines et par centaines. Des groupes de parents firent circuler l’information dans les écoles et les paroisses et on compta jusqu’à 50 000 cas d’objection de conscience face à l’EpC.

Et le gouvernement fut sur le point de renoncer.

C’est alors que la Cour suprême(2) rendit une décision : il ne reconnaissait pas le droit des parents à objecter l’EpC. Après quelques jours de confusion, de désorientation et de doutes, ce sont les parents eux-mêmes qui une fois de plus nous indiquèrent la voie : la liberté de conscience était au-dessus du tribunal. Personne ne pouvait nous dire ce qu’en conscience je devais faire. Nous avons poursuivi notre action, les enfants sortant de cours, avec les répercussions académiques que cela supposait.

Avec cela, nous avons connu la première dispute au sein du mouvement qui se divisa douloureusement en deux : ceux qui acceptaient la décision de la Cour suprême (ils retournaient en classe et abandonnaient la lutte), conduits et poussés par certaines associations nationales qui avaient lancés le mouvement avec nous, et ceux qui décidèrent de mener le combat jusqu’au bout. Les pressions augmentèrent alors, le gouvernement se sentant plus fort que jamais. Les écoles et les médias nous ignoraient se moquant de nous et des parents. Nous avons cependant continué. On compta encore 5000 nouveaux cas d’objection et près de 1000 actions judiciaires furent intentées après la décision de la Cour suprême. Il y eut aussi, dans les régions, des décisions de justice favorables aux parents (surtout en Castilla y Leon). Ces actions judiciaires étaient initiées par les parents, et lorsque la décision leur était favorable, l’ État faisait appel contre la sentence (devant la Cour Suprême). Les juristes (avocats etc.) étaient tous bénévoles. Le coût d’une procédure n’a jamais dépassé 50 euros par famille, car un fond commun avait été créé dans chaque plateforme(3) de parents pour subvenir aux frais de procédure. Lorsque les fonds de la plateforme locale ne suffisaient pas, la structure centrale prenait en charge ces frais, en application du principe de subsidiarité.

Il y avait plus d’unité et de force que jamais dans ce qui restait du mouvement objecteur. Nous avons continué à étudier et à informer sur les conséquences de l’objection dans le cadre de la nouvelle situation. Ainsi, nous avons progressé sans jamais reculer, conformément à l’objectif que nous nous étions fixé. Les épreuves fortifient.

Et ainsi, comme nous l’avions promis aux parents, les combats juridiques nous menèrent jusqu’à Strasbourg. Un groupe de 40 parents et élèves représentant 300 personnes fit le voyage à Strasbourg pour déposer une plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme (affaire Ramos Bejarano et Autres c. Espagne, n° 15976/10)(4) . La couverture médiatique fut assurée par tous les journaux nationaux. Ce fut trop pour l’ennemi. Il y eut alors une nouvelle division, plus douloureuse encore au sein du mouvement, liée à des problèmes et des malentendus internes. Le combat se poursuivit pourtant. Nous avons continué pratiquement seuls (profesionales por la Etica), avec une poignée de parents, le recours international initié dénonçant l’idéologie de l’EpC en Europe et à l’ONU pendant quasiment deux ans, sans délaisser le combat national, la présence dans les médias, la pression politique et la mobilisation sociale.

Sans aucun doute, la division interne a été la plus dure et la pire des défaites. C’est ce qui nous a véritablement affaibli et quasiment mis hors de combat. L’ennemi le sait et attaque toujours ainsi. Mais il ne faut jamais se rendre. Il y a des hauts et des bas et il faut savoir profiter de toutes les occasions pour avancer. Ne pas se rendre, et s’appuyer toujours les uns sur les autres sans jamais laisser quelqu’un seul, sans perdre l’espérance, la vérité triomphe toujours.

A suivre […]

Propos recueillis par Joël Hautebert.

[1]- Voir : http://www.profesionalesetica.org/2013/01/20-aniversario-xxiv-la-batalla-de-educacion-para-la-ciudadania-los-inicios/
[2]- Le Tribunal Supremo, dont le siège est à Madrid, a compétence sur tout le territoire national en tant que juridiction supérieure dans tous les ordres juridictionnels (y compris pour le contentieux administratif), à l’exception des garanties et des droits constitutionnels qui relèvent du Tribunal Constitutionnel (http://www.poderjudicial.es/cgpj/es/Poder_Judicial/Tribunal_Supremo?Template=cgpj/ts/principal.htm).
[3]- Sur les plateformes de parents, voir la première partie de l’entretien.[
[4]- La CEDH ne s’est pas encore prononcée. Sur les actions internationales, voir http://www.profesionalesetica.org/2013/04/20-aniversario-xxxi-la-batalla-de-educacion-para-la-ciudadania-acciones-internacionales/
Voir aussi : http://www.video-coach.fr/video/l2oH6TDMhR0/G.-Puppinck-_GENDER-POUR-TOUS-_-la-resistance-des-parents-deleves-espagnols-_-2-300-procs.html

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