Maires : le piège de la délégation

Invité au congrès des maires le 20 novembre 2012, le président François Hollande déclarait : « Les maires sont des représentants de l’Etat. Ils auront, si la loi est votée, à la faire appliquer. Mais, je le dis aussi, vous entendant, des possibilités de délégation existent, elles peuvent être élargies et il y a toujours la liberté de conscience. Ma conception de la République vaut pour tous les domaines et d’une certaine façon, c’est la laïcité, c’est l’égalité… C’est-à-dire : la loi s’applique pour tous dans le respect néanmoins de la liberté de conscience ». Dès le lendemain, François Hollande reculait et sous la pression du lobby LGBT expliquait que le projet de loi ne comporterait pas de mention à la liberté de conscience.

La loi Taubira votée, où en sommes-nous et quel est le droit en matière d’état civil ? L’article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales donne au maire et à ses adjoints la qualité d’officier de l’état civil sachant que les adjoints peuvent exercer ces fonctions sans que cela soit subordonné à une délégation qui leur serait donnée par le maire. En vertu de l’article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales, le maire peut en revanche, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer, par arrêté, une partie de ses fonctions à de simples conseillers municipaux en cas d’absence ou d’empêchement. Cette délégation s’exerce à titre temporaire et exceptionnel.

Depuis la promulgation de la loi Taubira, un certain nombre de maires refusent de célébrer des mariages entre personnes de même sexe. Evidemment si le maire refuse, l’un de ses adjoints peut le faire et le maire ne peut être tenu responsable des agissements de ce dernier. En revanche, dans le cas où maire et adjoints sont opposés à la célébration de « mariages » entre personnes de même sexe, se pose alors la question de la délégation. L’intérêt de la délégation est qu’elle permet de soulager le maire et ses adjoints en confiant aux conseillers municipaux des tâches que matériellement ils n’ont pas le temps de remplir. Le maire qui délègue donne son pouvoir et la personne à laquelle il délègue reçoit le pouvoir de faire pour compte de celui qui lui délègue. Le conseiller municipal ainsi investi agit donc en la personne (in persona) du maire. Quand le conseiller municipal marie par délégation du maire, c’est finalement le maire qui agit au travers de son conseiller municipal. Même le code général des collectivités territoriales reconnaît cela quand il énonce que la délégation se fait sous la surveillance et sous la responsabilité du maire (art. L 2122-18). Toute la question est alors de savoir s’il est licite de déléguer un pouvoir de réaliser un acte que soi-même on réprouve à titre individuel.

L’intérêt de la délégation dans le cas qui nous occupe est qu’elle permet à celui qui délègue de ne pas poser l’acte qui lui répugne. Quant à la personne à qui on délègue, la difficulté semble levée si celle-ci n’a pas de problèmes de conscience à poser un tel acte. Tout le monde est content : celui qui délègue car il ne pose pas l’acte, celui à qui on délègue car cet acte ne le dérange pas. Malgré tout peut-on se dédouaner de sa responsabilité en déléguant ? Non : même le code des collectivités locales l’affirme clairement. Par ailleurs, en déléguant on autorise la réalisation d’un acte qui va contre la raison et le bien commun. Certes l’acte posé et la procédure suivie sont conformes à la loi mais il n’est pas légitime. Comment, si l’on est soi-même persuadé du caractère irraisonnable d’un tel acte, peut-on demander à quelqu’un de le poser en lieu et place ? On lui demande finalement de faire ce que l’on considère soi-même comme désordonné. Dans tous les cas, soit le maire considère qu’il est bon de poser un tel acte et donc il peut donner le pouvoir à un tiers en son nom. Soit il considère que la célébration d’une telle palinodie n’a aucun sens et il ne peut vouloir que quelqu’un d’autre le fasse en son nom.

La possibilité de la délégation est vue comme un moyen de soulager la conscience mais il s’agit d’un piège. C’est le piège de Pilate qui a conscience de l’innocence du Christ mais qui ne veut pas poser l’acte de condamnation. Alors il laisse le soin   de l’existence du sentiment de culpabilité chez celui qui le pose. En déléguant, je me défais de la responsabilité de l’acte pour la donner à d’autres : telle est l’éthique de responsabilité du relativisme du système politique moderne. Le raisonnement sous jacent est celui-ci : dans mon for interne, je peux être contre la célébration du mariage mais au for externe, je suis maire et l’on attend de moi (il suffit de voir la pression subie par les maires récalcitrants sur ce sujet) que je ne bloque pas les institutions de la république et que je réponde à toute demande de mariage (le spectre de la discrimination est également tout autant présent). Si je ne souhaite pas célébrer un mariage gay, je dois donc déléguer ce pouvoir à un autre que cela ne dérange pas. Voilà le dédoublement de personnalité auquel est convié le maire. Cette schizophrénie imposée est très classique et on la retrouve chez tous ceux (pensons aux pharmaciens) à qui on demande de faire fi de leurs convictions personnelles pour agir « en responsabilité » dans le domaine professionnel. Tout cela suppose une négation de ce que représente la délégation comme engagement personnel de la part de celui qui délègue. Quand on délègue, on se met dans la peau de celui à qui on délègue (dédoublement de personnalité) en lui demandant de faire ce que l’on ne saurait faire. Le combat de l’objection de conscience est donc aussi celui de l’intégrité de la personne entre for interne et for externe. Refusons donc le piège de la délégation et cet enfermement schizophrénique qu’il requiert.

Philippe Cappello

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Publié dans : Edito, Textes fondamentaux