Un médecin refuse de délivrer un certificat pour l’avortement

Médecin généraliste, je reçois un jour une femme de 46 ans, avec un test de grossesse positif. Cette patiente est mariée, maman et grand mère. Elle a bénéficié un an et demi auparavant d’une ligature de trompe, de la trompe droite uniquement car selon son gynécologue, la trompe gauche était imperméable. Elle a fait ce test, car elle présentait un retard de règles inhabituel.

Assez vite, la patiente exprime le fait qu’elle veut avorter. Spontanément, elle me dit qu’elle sait qu’elle va tuer son bébé, mais que c’est son problème.

L’interrogatoire médical et l’examen clinique ne feront suspecter aucune complication médicale particulière. Sa surprise et son incompréhension face à la réalité de cette grossesse qui débute, malgré sa ligature de trompe, permettront une conversation intéressante sur le mystère de la vie, de l’inattendu, sur les alternatives à l’avortement… La consultation se termine, elle règle, je passe la carte vitale, et je lui précise que si, effectivement, elle souhaite poursuivre sur le chemin de l’avortement, je ne pourrai m’engager avec elle dans ses démarches, parce que, comme elle me l’avait dit elle-même,  avorter c’était tuer un petit bébé, et que je ne pouvais l’accompagner alors dans ce choix.

Le lendemain, la patiente m’appelle pour me dire qu’elle avait pris rendez vous  au planning familial. On lui demandait que je lui fasse un certificat comme quoi je l’avais bien vu la veille avec sa demande d’avortement. Je lui réponds que, comme je lui avais dit la veille, je ne me sentais pas à ma place à rédiger un certificat pour un avortement… Elle insiste un peu, car on lui a dit que je ne pouvais pas lui refuser, mais je lui fais comprendre qu’en conscience, je ne peux pas rédiger ce certificat. On raccroche, sans insistance…

Quelques jours plus tard, alors que je suis en consultation, je reçois un appel d’une conseillère conjugale et du médecin du planning familial qui me demandent de faxer un certificat médical, comme quoi j’avais bien vu cette patiente qui demandait à avorter. J’explique que, effectivement, j’ai bien reçu cette patiente en consultation, que j’avais vu son angoisse et sa tristesse devant cette grossesse imprévue, qu’on avait discuté, que je l’avais examiné, qu’elle m’avait exprimé le fait qu’elle souhaitait avorter, mais que je lui avais dit que si elle souhaitait mettre un terme à sa grossesse, je ne pourrai pas l’accompagner dans sa démarche, et que effectivement, je ne souhaitais pas faire ce certificat médical. On me répond que « je n’ai pas le droit de refuser de faire ce certificat, que c’est la loi ». Je répète, que « en conscience, je ne me sens pas capable de rédiger ce certificat. » « C’est la loi, me répète la conseillère conjugale, la loi est plus forte que votre conscience, si vous ne voulez pas le faire, on va faire un signalement au conseil de l’ordre ; je vous passe le médecin qui l’a rencontrée. »  Je me trouve alors en ligne avec une femme, qui plus calmement, m’explique que je dois faire ce certificat, c’est la loi ; mais qu’il ne faut pas que je m’inquiète, ça ne m’engage pas, ce n’est pas moi qui fait l’avortement…. Elle dit bien connaître la loi à ce niveau là, et me donne le numéro de fax où je dois lui adresser le certificat! Je lui réponds que d’une part je suis en consultation, et donc je préférerais qu’on se rappelle pour en parler, et je lui demande de me donner les références des articles de la loi, que je vais me renseigner !

Le caractère un peu exceptionnel de la situation n’était pas tant de recevoir en consultation une patiente qui exprimait une demande d‘IVG, ni même finalement de voir un médecin exprimer à sa patiente son refus de rédiger un certificat médical qui puisse être utilisé dans une procédure d’IVG, mais plutôt de constater l’insistance du planning familial intervenant pour obtenir ce certificat.

En effet, si « le médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse » selon les modalités prévues à l’article L. 2212-2 du code de santé publique, le médecin semble ne pouvoir refuser un certificat médical à un patient qu’il aurait vu en consultation (acte administratif validé par la carte vitale et consultation réglée) et qui le lui demanderait.

La question était donc de savoir quoi rédiger dans ce certificat, et à quoi il allait servir.  Si le certificat servait juste à justifier le passage de la patiente au cabinet, cela ne me posait pas de problème de le rédiger, mais s’il comptait pour le premier des deux certificats médicaux nécessaires pour l’IVG, il ne m’était pas possible alors de le rédiger. Jean Paul II et la Conférence des évêques allemands s’étaient déjà prononcés sur ce genre de situations, à propos des centres Donum Vitae. Ce sont des centres de conseil conjugal, agréés pour délivrer les certificats médicaux nécessaires à l’IVG. Ces centres ont été créés  en 1999, par le Comité central des laïcs catholiques allemands, après l’interdiction faite par Jean-Paul II à l’Eglise d’Allemagne de soutenir et gérer des « centres de conseil pour les femmes enceintes » délivrant « l’attestation d’entretien » indispensable pour l’accès à l’avortement. L’association Donum vitae anime en Allemagne 116 centres d’accueil et reçoit environ 36 000 femmes par an. Elle continue à délivrer l’attestation d’entretien. En 2006, la Conférence épiscopale allemande a interdit aux laïcs exerçant dans l’Eglise de travailler au sein de Donum vitae.

Les choses en sont restées là, pour cette fois. Depuis, quand une patiente vient avec une demande d’avortement, la consultation se déroule de façon habituelle, mais je prends la précaution de ne pas passer la carte vitale en fin de consultation. Je ne la fais pas régler. Ce n’est pas une consultation, mais une conversation !

Question/ Commentaire : à noter que si l’on doit malgré tout rédiger ce certificat, le conseil juridique consiste à noter sur le certificat :  » je n’ai pas informé la patiente des risques infectieux et chirurgicaux de l’avortement »

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