Objection et professionnalisme

L’objection de la conscience est-elle le refuge de la lâcheté et de l’incompétence ? Cette question à dessein provocatrice mérite d’être posée car la réponse permet de fournir un critère de la véritable objection de la conscience.

Il n’est pas rare que l’objecteur apparaisse comme quelqu’un qui, par confort intérieur, refuse de poser un acte auquel sa position le contraint. Ce refus a souvent une conséquence sur ses collaborateurs dans la mesure où ceux-ci doivent le remplacer pour que la tâche due soit remplie. Ainsi l’objecteur peut apparaître comme peu solidaire de son équipe en refusant d’assumer la totalité des actes permettant à la dite équipe d’atteindre sa finalité. Y a-t-il dès lors un manque de professionnalisme chez l’objecteur ? N’est-il pas déterminé par une vision sélective de sa fonction incompatible avec son inscription dans la société telle qu’elle est ? Par exemple, un maire qui refuserait de célébrer un mariage entre personnes de même sexe est-il un mauvais officier d’état civil ?  Question décisive puisqu’elle engage la conception de ce qu’est tel ou tel métier.

En effet, un bon professionnel est quelqu’un qui, dans sa pratique, se rend adéquat aux exigences inhérentes à sa profession. Est donc présupposée une détermination des finalités et des moyens propres à telle ou telle profession ; bref, ce qui se joue là est la définition même de tel métier. Or l’objecteur est celui qui considère précisément qu’il n’est pas dans la nature par exemple du médecin de tuer un être humain. Son objection ne le concerne donc pas seulement lui dans sa subjectivité mais engage l’objectivité de son métier ou de sa fonction. Son objection aura d’autant plus d’impact et d’exemplarité qu’il exercera de manière irréprochable toutes les tâches intrinsèques à sa profession. En effet, l’objecteur refuse de poser tel acte à double titre : 1) par déontologie interne à son métier et 2) par intégration de sa profession dans l’ordre humain éthique.

  • 1. L’objecteur refuse d’obtempérer à un ordre car il juge que cet ordre transgresse les limites de sa profession. Un tel « ordre » est donc en fait un désordre et l’objecteur est le témoin manifestant que la mesure de son métier n’est pas dans la volonté ni de son supérieur, ni du règlement ou de la loi. Aucune volonté humaine ne peut décider que le médecin a pour fonction de tuer un innocent, ni de décider que le mariage est l’union de deux hommes ou encore que le mensonge est inhérent au commerce. Car cela ne relève pas de la volonté de quiconque mais du sens des mots lui-même fondé dans la nature des pratiques humaines. L’objecteur est ainsi un empêcheur de manipuler paisiblement le langage. Derrière les mots, il y a toujours des choses et les choses ne sont pas indéterminées et équivalentes.
  • 2. Cela dit, on pourrait rétorquer que cette approche est trop formelle et qu’elle peut devenir le refuge d’une coopération hypocrite à un mal objectif. Par exemple, le conducteur de train transportant des personnes destinées aux camps de la mort peut toujours se dire que son métier est de conduire des trains sur un réseau ferré quels que soient la direction et le devenir des passagers. Ce qui choque dans une telle attitude est son abstraction. Mon métier n’est pas un monde à part ; il s’insère dans un monde humain et il entretient des liens constitutifs avec l’ensemble de ma vie. L’abstraction se révèle alors ici une ignorance volontaire donc coupable. Le bon professionnel est celui qui mesure les tâches de son métier aux exigences éthiques objectives. Cela requiert une ouverture de sa conscience aux différents cercles concentriques de sa vie.

Le bon professionnel est donc celui qui assume toutes les tâches inhérentes à un métier digne de ce nom, c’est-à-dire conforme au bien humain. C’est de cette conscience élargie qu’il tire la force de s’opposer à ce qui dénature l’exercice du métier qu’il a choisi et qui souvent lui tient tant à cœur qu’il n’envisage que dans la déchirure de l’abandonner pour rester fidèle à sa dignité humaine !

Thibaud Collin

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