Réaction d’un pharmacien à la consultation sur la clause

Nous publions cette lettre d’un pharmacien envoyée au Conseil National de l’Ordre. Le pharmacien qui répond sur le projet de consultation revient sur le projet de clause (1)  et sur le débat qu’il a engendré au sein du même dit Conseil.  

Madame, Monsieur, Cher Confrère,

Mon message fait suite au sondage sur le projet d’article R.4235-18 du Code de déontologie.

Je n’ai pas manqué de donner mon avis en ligne (et vous remercie de m’en avoir donné la possibilité) mais n’ai pas alors jugé utile de rédiger un commentaire expliquant mon choix, ce que j’ai vivement regretté à la lecture du communiqué de presse de Madame la Présidente du Conseil national. C’est donc l’objet de ces quelques lignes ; je tâcherai d’être bref.

Concernant l’article proprement dit, l’absence de définition claire d’un « acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine » est déjà un problème de taille. De même, que doit-on ou non considérer comme un soin ? La question est cruciale à notre époque où l’on voudrait confondre alimentation et hydratation, soin et acharnement.

Par ailleurs, tout mettre en œuvre pour qu’un autre pharmacien effectue un acte que l’on juge soi-même coupable me semble absurde.

Et après les précautions initiales (« sans préjudice pour … »), le diktat final que l’on pressentait (« Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique »). Soit, au final, une coquille vide.

J’ai logiquement voté « non », non pas – vous l’aurez compris – parce que je serais opposé à une clause de conscience – bien au contraire – mais parce que je refuse une telle hypocrisie.

Quant au communiqué de presse, que de politiquement correct et que de justifications pour assurer que l’on ne déroge pas à l’ordre établi ! Madame la Présidente du Conseil national précise « qu’il n’est évidemment (sic) pas question […] de pilule du lendemain, de stérilet ou même de préservatif ». Et d’ajouter – à juste titre – que le préservatif n’a jamais attenté à la vie humaine. On peut donc en déduire que ce n’est pas le cas pour la pilule du lendemain et le stérilet. Pourquoi donc alors ce texte ne pourrait-il s’appliquer au stérilet et à la pilule du lendemain ? Quel pharmacien pourrait prétendre qu’à partir du moment où il y a eu fécondation, pilule du lendemain et stérilet n’attentent pas à la vie humaine ? Sauf à considérer que la grossesse ne débute qu’après la nidation et que la fusion des gamètes ne produit pas un être à part entière doté d’un patrimoine génétique original, ce qui suppose une bonne dose d’idéologie.

L’assurance enfin que l’Ordre veille et porte plainte lorsqu’un pharmacien – nous dit-on – « ne respecte pas ses devoirs » (à définir, une fois de plus, afin d’éviter les interprétations multiples) est indécente s’agissant d’atteinte à la vie humaine. De nombreux pharmaciens, et beaucoup parmi les plus jeunes, n’auront d’autre choix que de renoncer à exercer s’ils veulent – comme c’est mon cas – pouvoir agir en conscience.

Bref, mieux vaut le statu quo (c’est-à-dire l’absence de clause de conscience) plutôt qu’un article ainsi rédigé.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, Cher Confrère, l’expression de ma parfaite considération.

 

(1) Sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine. Il doit alors informer le patient et tout mettre en œuvre pour s’assurer que celui-ci sera pris en charge sans délai par un autre pharmacien. Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique.»

Publié dans : Témoignages