Nous mettons à disposition un texte de nature théorique sur l’objection de conscience. Ce texte est intéressant à plus d’un titre : d’une part parce qu’il est écrit par un professeur de philosophie politique, d’autre part parce qu’il est lié au contexte spécifique de l’Italie marqué par un très fort pourcentage de médecins objecteurs mais enfin par la nature de son argumentation. L’auteur tente ici une synthèse entre le point de vue de l’objecteur et celui de la société démocratique. Et il le résout par un compromis qui cherche à concilier le droit de l’objecteur et de celui qui demande l’exercice d’un droit (femme qui souhaite avorter par exemple). L’exercice est des plus délicat et on ne sait comment finalement il peut se résoudre concrètement (surtout dans le cas italien) si ce n’est pas l’imposition d’un service minimum qui heurte la conscience de très nombreux médecins.
Objection !
L’objection de conscience: quelles frontières?
Au cours des cinquante dernières années, le champ d’application de la forme juridique de l’objection de conscience s’est progressivement élargi. De l’objection de conscience au service militaire, on en venu à discuter d’une objection de conscience en matière de santé. L’extension de la question dans le champ de la bioéthique a été interprétée par certains comme une perte de sens du concept. La pratique de l’objection de conscience qui est née du souci de soustraire l’individu au despotisme de la discipline étatique dans le domaine militaire puis de la santé aboutit à violer les droits individuels. « Le bon docteur n’objecte pas», tel est le slogan d’une campagne récente contre l’objection de conscience dans le domaine de la santé, faisant allusion au fait que l’objection du médecin heurte les droits d’une autre personne, son patient.
Ces questions de principe sont liées à des problèmes pratiques. Nous commençons par la première. Il faut d’abord rappeler la différence entre l’objection de conscience et à la désobéissance civile. Cette dernière est une forme de lutte pacifique, de résistance non-violente à un gouvernement autoritaire et peu enclin au dialogue démocratique. L’objectif de la désobéissance civile est de nature public : le changement de la loi contestée ou le renversement du gouvernement. La personne qui choisit la désobéissance civile est prête à encourir la peine prévue par la loi. Différente est la fin de l’objection de conscience qui veut protéger un espace de liberté individuelle pour les minorités: il ne s’agit donc pas de changer la loi mais de garantir le respect de la conscience individuelle et le respect de la loi elle-même. Du point de vue juridique, l’objection de conscience est donc différente de la désobéissance civile. Cette dernière est un instrument de lutte politique et de résistance organisé contre une loi votée démocratiquement tandis que la première est une des pierres angulaires d’un système politique libéral dans lequel à côté du principe démocratique de la participation de tous aux choix publics est placé le principe de la garantie et la sécurité de la liberté individuelle, un principe qui n’abolit pas le premier mais en limite sa portée.
Personnellement, je suis convaincu que, d’un point de vue théorique, le principe juridique de l’objection de conscience ne peut être questionné. Je crois que le point de vue selon lequel l’objection de conscience devrait être refusée à ceux qui choisissent librement une profession a un caractère extrémiste. D’un point de vue chrétien et protestant, l’objection de conscience est un outil non seulement légitime mais nécessaire pour le bon fonctionnement d’une société démocratique et pluraliste. Le protestantisme est historiquement à la source de l’idée de liberté de conscience, dont la primauté éthique a été constamment réaffirmée par les églises protestantes au cours du XXe siècle. Cependant, il faut spécifier comment ce principe doit être compris dans un sens chrétien : la conscience échappe à la loi des hommes dans la mesure où elle n’est pas seulement l’espace nécessaire à l’individu libre mais l’endroit où Dieu parle et interpelle l’être humain et lorsque celui-ci assume sa responsabilité envers Dieu, le tissu des relations qui la constituent. L’autonomie de la conscience est combinée avec l’idée de la responsabilité pour le choix de la foi. La dimension politique de la responsabilité découle du fait qu’elle est exercée non seulement devant Dieu mais aussi devant d’autres hommes, matérialisée dans l’attention portée à leurs droits, l’exercice de leur autonomie et de justice sociale.
Pour cette raison, vous devez réfléchir sérieusement aux limites politiques à l’exercice de l’objection de conscience. En Italie, son application omniprésente dans le domaine de la santé peut être source de confusion en dissolvant sa valeur morale. Premièrement, il doit être clair que la valeur morale du témoignage est nulle si l’objection de conscience a un usage instrumental. La réclamation de la liberté de conscience ne peut être réduite à la défense d’intérêts particuliers. Métaphore à part, il convient de noter que, contrairement à ce qui pourrait se produire en ce moment en Italie, la pratique de l’objection ne devrait pas apporter des avantages personnel à l’objecteur : l’appel à la conscience ne peut pas être une excuse ou un truc pour améliorer sa carrière professionnelle. En outre, dans un système libéral, l’objection de conscience ne doit pas devenir un outil pour porter atteinte aux droits des citoyens, comme c’est le cas en Italie où la propagation de l’objection de l’institut la conscience à l’interruption volontaire de la grossesse met en péril le droit des femmes de se faire avorter.
Une première limite à l’exercice de l’objection de conscience est donc le droit des autres. Si l’exercice légitime de la morale individuelle désactive un service d’utilité publique ou refuse le droit individuel à la santé, cela ouvre un conflit qui doit être réglementé. Une deuxième limite possible pourrait être la distinction entre les actions et omissions.
La signification éthique de cette distinction peut être discutable mais continue de maintenir son utilité sur certaines questions telles que la fin de vie. Je pense par exemple à la distinction entre l’interruption (ou activation) d’un traitement et l’euthanasie. S’il était approuvé une loi légalisant l’euthanasie ou le suicide assisté, un médecin objecteur ne pourrait pas imposer un traitement indésirable à un patient qui s’y oppose ou suspendre ou refuser un traitement pour qui le souhaite. Mais, en même temps, il devrait être en mesure de refuser de causer activement le décès du patient.
Luca Savarino
Luca Savarino est professeur de philosophie politique à l’Université du Piémont oriental