Je suis sage-femme et exerce depuis juillet 2015. J’ai toujours voulu travailler dans le secteur hospitalier, au moins pour le début de ma carrière. J’ai commencé à exercer dans une maternité publique. Ce choix était réfléchi car je savais que l’autonomie et la pratique professionnelle de la sage-femme y seraient plus respectées. Tout se passait très bien jusqu’au moment où j’ai expliqué à ma responsable que je souhaitais faire valoir ma clause de conscience pour éviter d’accompagner les couples qui décidait d’avorter dans le cas de malformations fœtales, ce qui représentait un effectif très faible dans cette maternité. En effet, je savais que je ne m’en remettrais pas si je devais participer à un IMG.
Mes raisons sont d’une part personnelles, car j’ai été portée dans le ventre de ma maman avec un risque important de trisomie, ce qui a amené ma mère à faire une amniocentèse sans qu’on lui en explique les risques et les 3 semaines d’attente qu’elle allait devoir vivre. Ceci m’a sans aucun doute façonné, car depuis toujours, les questions éthiques autour de la vie m’ont toujours semblé graves et passionnantes. Par ailleurs, je sens bien qu’il y a un non respect de la Vie dès lors qu’on commence à « gérer » le pourcentage d’enfants « handicapés » ou non viables qui arrivent sur notre terre. Je crois bel et bien qu’ils ont tout leur rôle à jouer auprès des « plus forts », extérieurement du moins. [petite réflexion à ce sujet : à l’heure où on éradique le handicap qui arrive naturellement, car trop difficile à supporter, on le recrée en voulant réanimer coûte que coûte les enfants extrêmement prématurés, dont on sait que les séquelles ne seront pas moindres…comme si le handicap trouvait toujours son moyen pour rester parmi nous, tellement il apporte].
Dans le même temps, j’ai proposé à ma chef de service d’accompagner un maximum de couples vivant une mort in utero s’il le fallait, pour « compenser ». Mon mari allant demander une mutation pour se rapprocher de moi, j’avais décidé d’être en vérité avec ma responsable plutôt que de continuer ma stratégie de l’évitement, qui fonctionnait plutôt bien vu le nombre faible d’IMG auquel nous étions confrontés dans mon service : nous étions deux sages-femmes en salle de naissances pour nous répartir le travail.
J’ai finalement donné ma démission car j’ai rapidement trouvé un autre travail plus proche de mon mari, ce qui m’a sans doute empêché de pouvoir consulter un avocat, car je n’ai pas de preuve qu’on ne m’aurait pas renouvelé mon contrat à durée déterminé à cause de ma demande de respect de la clause de conscience. Les gynécologues m’avaient pourtant tous soutenus à l’occasion de la réunion de service du lundi matin, mais ils ont demandé une condition : que l’équipe de sage-femmes soit d’accord, et dans le lot, l’une d’entre elles, m’a exprimé son refus de respecter ma clause, car je lui laissais « le sale boulot ». En quittant ce job, je me suis dit avec d’autres sages-femmes que j’aurais sans doute dû ne rien dire, et m’arranger au jour le jour. J’avais seulement voulu être claire.
Soit, je crois qu’il en est malheureusement de même dans toutes les maternités, et que le respect de la conscience de chacun pose un grand souci aux hôpitaux publics français, qui ont besoin de « bons petits soldats » dans ce contexte de restriction des postes de sages-femmes. Soit disant pour des raisons d’organisation, mais en réalité mon expérience prouve que ça n’est pas du tout cela le problème, mais qu’il s’agit d’imposer une idéologie.
J’ai maintenant un travail dans une maternité où mon éthique personnelle est tout à fait en paix puisqu’il n’y a aucune interruption de grossesses, qu’elle soit volontaire ou « médicale ». Je reste cependant très ennuyée, parce que j’ai été victime d’une injustice, et que bien d’autres en France vivent ça. J’aimerais, à défaut de ne pas pouvoir consulter un avocat pour mon histoire, soutenir toutes les sages-femmes qui se disent au fond d’elles même qu’elles rêvent de pouvoir s’affirmer et apaiser leur conscience, et les pousser à faire réfléchir la France à ce sujet. Pour avoir l’audace d’affirmer ses convictions, il faut malheureusement des conditions très précises (qui ne suffisent pas toujours) : être très professionnel et avoir une bonne communication avec son équipe de travail. Toujours garder en tête de vouloir faire le bien, pour soi-même et pour autrui, surtout si autrui, en l’occurrence, est le plus faible et ne peut pas donner son avis. Est-ce que je participe à un acte humain, constructif ? Quelles valeurs sont avancées dans mes actes professionnels ?
Courage aux sages-femmes !
Commentaire :
Il existe une clause de conscience mais dont la mise en œuvre est parfois difficile. Il y a donc nécessité pour les sages-femmes de s’entraider et de partager leurs expériences afin de faciliter l’exercice de la clause pour les plus jeunes dans le métier.