Témoignages caricaturaux au sujet du refus de vente de la pilule du lendemain : Réponses de pharmaciens (1)

croix pharLes articles polémiques et militants qui circulent sur la toile contre la clause de conscience des pharmaciens relatent des témoignages caricaturaux et profondément désobligeants à l’égard de la profession. L’image détestable et erronée des praticiens que ces attaques véhiculent (pharmacien narquois, ironique…) a pour objectif d’exiger des pharmaciens qu’ils se comportent comme des machines à distribuer les produits demandés, même sans ordonnance, privés de faculté de raisonnement et de parole. Ceux qui osent refuser de délivrer la pilule du lendemain sont tous des goujats, agissant sans aucun mobile médical solide. Pour couronner le tout, les clientes sont même invitées par certains articles à dénoncer ces pharmaciens !

Pourtant, les mobiles de conseils avisés et de refus de délivrance ne manquent pas. Nous publions les propos (1) de deux pharmaciens d’officine qui ont bien voulu répondre à notre demande d’éclaircissement.

Sophie, pharmacienne d’officine :

«Il ne faut pas oublier que le malaise initial de la patiente qui vient demander une contraception d’urgence, ici la pilule du lendemain, tend à lui faire ressentir comme hostile toute tentative de discussion ou toute remarque de la part du pharmacien à l’officine. C’est dire si l’acte n’est pas anodin ! Il faut bien comprendre que l’acte de vente n’est également pas anodin pour le pharmacien qui, d‘ailleurs, n’a pas le monopole de la délivrance de ces produits, qui peuvent être délivrés dans un centre de planification familiale, ou encore dans un établissement scolaire ou universitaire pour les jeunes filles, mineures ou majeures. Que l’on fiche donc la paix au pharmacien concernant ce produit puisqu’il est accessible ailleurs qu’en pharmacie. Et puis le pharmacien n’est en effet pas tenu de répondre positivement à toutes les demandes qui lui sont faites en officine, encore plus concernant la contraception d’urgence dont la pilule du lendemain. Tout simplement parce qu’il est professionnel de santé avant d’être commerçant. Le médicament n’est pas un produit comme les autres et le patient n’est pas un client comme les autres. Il n’y a aucunement là matière à polémique et que l’on arrête de considérer le pharmacien comme un simple distributeur de boîtes.

Or, en l’occurrence, de nombreux pharmaciens ressentent un profond malaise lorsqu’ils sont sollicités pour ces délivrances, particulièrement chez les mineures, puisque le dispositif d’anonymat, de non traçabilité et de gratuité ne leur permet pas de sécuriser l’acte pharmaceutique, d’assurer le bon usage, et en conséquence de promouvoir le respect de la santé de la patiente.

La pilule du lendemain, c’est-à-dire Norlevo ou Levonorgestrel 1,5mg est 50 fois plus dosé que le Microval, pilule progestative micro-dosée qui contient la même substance. Or, la pilule Microval nécessite une prescription médicale et un suivi biologique, contrairement au Norlevo, offert presque en libre-service, à volonté, sans ticket modérateur et sans franchise pour les jeunes filles, ce qui tend à le banaliser et à le considérer comme un produit inoffensif. Il faut tout de même rappeler que les effets indésirables ne sont pas anodins : vertiges, céphalées, nausées, vomissements, métrorragies, accidents thromboemboliques et même grossesses ectopiques. Le pharmacien est au service de la vie, comme le lui rappelle le code de déontologie des pharmaciens (Art 1- Code de Déontologie des pharmaciens) et son devoir d’acteur de la santé publique peut l’obliger en conscience à refuser la dispensation de certains médicaments ou produits pharmaceutiques.

Le refus de vente de la part du pharmacien peut avoir une finalité pédagogique et rappeler que les nombreuses dérogations dont fait l’objet la contraception d’urgence (2), notamment la pilule du lendemain (3), n’exemptent pas le pharmacien de sa responsabilité personnelle à chaque fois qu’il dispense ce produit.

Au contraire il faut donner au pharmacien la pleine liberté d’exercer cette responsabilité en lui accordant la clause de conscience comme à tous les autres professionnels de santé ».

(1) Il va sans dire, mais c’est mieux en le disant, que ces témoignages sont authentiques.

(2) Voir Florence Taboulet et Valérie Syranyan, « La contraception d’urgence délivrée aux mineures : enjeux de sécurité et de santé publique », RGDM, 2015, p. 215-232. Voir ici

(3) Exonération de la liste des substances vénéneuses, dérogations au code de la sécurité sociale : délivrance anonyme et gratuite pour les mineures, ce qui rend possible des prises multiples, dans une ou plusieurs pharmacies

 

Publié dans : Edito, Pharmaciens