Cette tribune de Joël Hautebert, secrétaire général d’Objection, a été publiée dans le Figaro du 18 octobre, avant la décision du Conseil constitutionnel sur la liberté de conscience des maires.
La liberté de conscience face à l’Etat jupitérien
C’est peu de dire que la décision que le Conseil constitutionnel rend en ce vendredi 18 octobre est attendue. Elle va nous apprendre si, aux yeux du Conseil, une « réforme de civilisation » mettant un terme à des siècles de conception univoque du mariage, une fois votée, promulguée et déclarée conforme à la constitution, il est laissé ou non aux élus chargés de son exécution la faculté d’exercer un droit, que ce même Conseil avait jugé bon en 1977 d’ériger en principal fondamental des lois de la République : la liberté de conscience. Avec une sagesse certaine, le droit positif français reconnait l’usage de clauses de conscience lorsqu’il est avéré que de grandes questions éthiques sont en jeu. Or, personne ne peut nier que le fait de prêter son concours à un acte aux conséquences aussi considérables sur la filiation constitue l’archétype des questions éthiques justifiant l’exercice du droit à l’objection de conscience. Le 20 novembre dernier, lors du congrès des maires, le président de la République avait lui-même reconnu que les débats « sont légitimes pour une société comme la nôtre. (…) Les possibilités de délégation existent, elles peuvent être élargies (…). La loi s’applique pour tous, dans le respect néanmoins de la liberté de conscience ». Faisant écho à ces sages paroles, les maires initiateurs de la procédure devant le Conseil constitutionnel demandent simplement de ne pas être contraints de « célébrer » de tels « mariages », et qu’il soit pourvu à leur remplacement par un représentant de l’Etat désigné à cet effet.
Lorsque la profondeur du bouleversement anthropologique suscite des réactions populaires aussi énergiques et tenaces, exprimées lors de manifestations répétées regroupant à chaque fois des foules immenses, on s’attend, pour le moins, dans le cadre de son application, à la reconnaissance pleine et entière d’une faculté d’objection de conscience légitime, dont l’effet social s’apparente à une apaisante bouffée d’oxygène. Fine politique, Madame Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, affirmait le 19 juin dernier qu’ « on n’adopte pas de réforme contre ceux qui sont les principaux concernés ». Mais c’était pour une toute autre affaire… Paradoxalement, alors que le droit post-moderne se caractérise par la recherche du consensus, la négociation et l’association des destinataires au processus d’élaboration des normes, on observe le phénomène inverse de retour à la puissance jupitérienne de la loi, dans les domaines où l’intrusion du législateur est pourtant la plus controversée, c’est-à-dire sur des questions éthiques et anthropologiques. Comme si le renversement radical des repères moraux et sociaux devenait l’enjeu premier du pouvoir et du droit, imposant qui plus est l’écrasement de la conscience, là où justement elle est la plus exposée et de fait la plus à même de s’exprimer légitimement. Ainsi, si la décision intéresse au premier chef les officiers d’état civil, elle ne manquera pas d’attirer l’attention de l’ensemble des citoyens, soumis aujourd’hui, ou susceptibles de l’être demain, à d’autres réformes sociales d’envergure engageant sans doute plus avant le législateur français dans des voies jusqu’alors extérieures à son champ d’intervention.
L’enjeu de la décision de ce 18 octobre se situe en réalité ici. Dans le cadre de mesures de cette nature, que le Conseil constitutionnel habilite le législateur à prendre, est-il encore possible d’éviter à une multitude de Français des comportements littéralement schizophrènes ? L’absence de reconnaissance de cette liberté fondamentale des officiers d’état civil, et par conséquent la limitation de la conscience au for intérieur, pourrait inquiéter les actuels bénéficiaires de clauses de conscience, soucieux de la sauvegarde future de leur droit.
Au vu de l’importance de la procédure engagée et de la décision qui la clôt, quelques « étrangetés » suscitent tout de même de légitimes interrogations, dont on aimerait qu’elles soient dissipées. En effet, dans ce type de procédure (QPC), environ deux mois séparent habituellement la décision de renvoi de l’audience publique. Dans le cas d’espèce, le délai a été réduit à trois semaines. Par ailleurs, conformément au règlement intérieur du Conseil constitutionnel, des maires ont voulu prendre part à la procédure en déposant des « observations en intervention », pour l’instant totalement passées sous silence. On ose espérer que le Conseil a jugé bon d’agir dans l’urgence, soucieux de régler au plus vite la position plus qu’inconfortable dans laquelle se trouvent aujourd’hui les officiers d’état civil. Quant aux interventions des maires, si le Conseil a jugé inutile de leur accorder quelqu’importance, quitte à ne pas respecter à la lettre son propre règlement, c’est sans nul doute parce que les requérants principaux vont obtenir gain de cause. C’est en tout cas l’explication la plus raisonnable que l’on puisse donner.