Mariage pour tous : objection d’un prêtre

P Brodard1

« Comme prêtre je suis célébrant de mariages religieux. La loi me fait obligation de garantir que le mariage civil précède le religieux. Pour cela un certificat doit figurer au dossier du mariage religieux. Depuis la loi d’ouverture du mariage civil aux personnes de même sexe j’ai cessé de faire figurer au dossier le certificat réglementaire car je le considère devenu infamant. Célébrer le religieux en absence du civil me conviendrait très bien désormais. Seul mon évêque à qui j’ai promis obéissance pourrait me faire changer de pratique. mais je ne manquerais pas de lui présenter mon objection. Autre risque, voir arriver une demande de baptême pour un candidat ayant deux pères ou deux mères : Encore un cas où ma conscience fera objection ».

 

Ce prêtre qui fait objection risque tout simplement six mois d’emprisonnement et 7.500 euro d’amende. Revenons sur cette affaire et donnons en tous les tenants et aboutissants La mise en place du mariage pour tous n’est pas sans conséquence sur le mariage religieux. D’une part, il existe une pression d’une partie du lobby (très minoritaire) homosexuel pour pouvoir se marier à l’église. D’autre part, certains curés (mais cela reste également très très marginal, et radicalement contraire au droit canonique) sont tentés de marier religieusement des personnes de même sexe. Enfin, il existe cette subordination du mariage religieux au mariage civil. Car un mariage religieux ne peut avoir lieu que si le mariage civil a été célébré.

Tout cela est lié évidemment à la mise en place du mariage civil dont la visée est d’ôter tout effet civil au mariage religieux. Au regard du pouvoir politique, seul vaut le mariage civil. La sécularisation du mariage entre dans le droit français par l’article 7, titre II de la Constituante de 1791 qui déclare que « la loi ne considère le mariage que comme un contrat civil ». Puis logiquement, le pouvoir politique met en place un état civil. Le décret du 20 septembre 1792 instaure ainsi l’état civil qui édicte que ce sont les municipalités qui désormais recueilleront les actes de naissance, mariage et décès. Le mariage religieux qui à l’époque est le fait de la grande majorité de la population n’a donc plus aucun effet civil. On aurait très bien pu imaginer que le mariage religieux (quel que soit sa nature) produise des effets civils mais le pouvoir révolutionnaire a voulu prendre la main sur cet acte social et déposséder la religion de toute prérogative en ce domaine. Cela permettait de déconnecter la réglementation civile du mariage de toute règle religieuse : la question du divorce est à l’époque le gros enjeu (la concomitance entre la mise en place de l’état civil et loi sur le divorce est d’ailleurs loin d’être fortuite). Puis vient l’article 433-21 du code pénal de 1810 qui stipule que « tout ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil sera puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende ». Le mariage civil doit précéder le mariage religieux. On aurait pu imaginer que le mariage religieux puisse être fait antérieurement au mariage civil voire même soit déconnecté mais il n‘en a pas été ainsi. Implicitement cette subordination du mariage religieux oblige l’Eglise à une reconnaissance implicite de la validité du mariage civil.

 

Cette situation s’est avérée soutenable tant que la population est restée massivement chrétienne mais avec la déchristianisation massive opérée depuis cinquante ans, les problèmes sont apparus, notamment avec l’explosion du nombre de divorces. Cette dichotomie entre réglementation civile qui autorise le divorce et règle religieuse qui affirme l’indissolubilité du mariage pousse l’Eglise à multiplier les annulations. Avec la dénaturation du mariage opérée par la loi Taubira, une nouvelle étape est franchie et l’Eglise peut se poser la question d’une forme de rupture définitive du contrat tacite entre Etat et Eglise au sujet du mariage. La mise en place du divorce avait déjà produit une pression qui n’est pas sans conséquence sur l’institution du mariage mais la mise en place du mariage pour tous est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Si je n’accorde aucune valeur au « mariage » dénaturé, pourquoi ne pourrais-je pas avoir toute liberté de choisir mon statut civil (concubin, pacs, mariage) tout en choisissant ou non de me marier religieusement. Finalement seuls aux chrétiens (le mariage des musulmans se fait bien souvent de manière privée sans intervention d’un ministre) est dénié le droit de choisir leur statut civil. Du côté des prêtres, le malaise est le même et l’on peut comprendre ce refus d’obéir à une loi qui implicitement les oblige à reconnaître la légitimité du mariage civil alors que celui-ci a été complètement dénaturé. Par ailleurs avec le mariage des personnes de même sexe se pose immédiatement la question de la filiation et du baptême. Si l’on accepte la règle de conditionnalité du mariage religieux par rapport au mariage civil, alors comment refuser à des parents de même sexe qui sont mariés civilement et qui tout naivement demandent le baptême pour leur enfant ?

Publié dans : Témoignages